Classe de DameMinuteLe gros volatile jaune et ridicule secoua une fois de plus ses pattes agitées, laissant tomber son dernier parchemin :Mes amis,
Je vais vous raconter l’étrange mésaventure qui m’est arrivée lors de mon voyage vers Troyes.
Je venais de quitter Compiègne à l’aube, à peine reposée, et me dirigeais vers Sainte Ménéhould. J’avais pris la décision de couper par la grande forêt de Compiègne afin de gagner un peu de temps, car j’étais lasse de voyager. L’intéressant dans les voyages se sont les étapes, les villes que l’on traverse et les gens qu’on y rencontre, mais dans ma hâte d’arriver, je limitais ces étapes au maximum et voyager dans ces conditions ne présente pas beaucoup d’intérêt.
J’entends d’ici certains d’entre vous se dire qu’il faut être folle pour traverser une aussi grande forêt, seule, sans armes, et par cette saison. Les bois et forêts ayant la réputation d’être le repère des brigands et bêtes sauvages.
Je vous répondrai qu’à mon âge, j’avais plus à craindre pour ma bourse que pour ma vertu, et que ma bourse étant bien maigre, le risque n’était pas très grand. D’autre part, la forêt de Compiègne étant une source de revenus importante pour cette ville, on y rencontre moult bûcherons. D’ailleurs, j’entendais de loin en loin des coups de haches, et je me sentais moins seule.
Je marchais péniblement dans la neige depuis une petite demi-heure quand un bruit m’alerta. Je tournai la tête et le vit, là, à travers les arbres.
J’étais tétanisée par la peur. Le loup, l’échine courbée, les poils hérissés, grognait et montrait les crocs. J’esquissais un geste et les grognements redoublaient. Je ne savais plus quoi faire. Courir, à quoi bon, je savais que cela n’aurait pour effet que de le lancer à ma poursuite. Puis, je me rappelai que les loups vivant en meute, s’il y en avait un, il y en avait d’autres. Je ne voyais pas d’issue et je laissai le désespoir m’envahir. Avoir fait tant de chemin pour finir sous les crocs d’un carnassier, sans avoir revu mon cher fils. Je me laissai tomber à genoux dans la neige, les yeux fermés. Autant en finir vite. J’attendais la peur au ventre, un temps qui me parut une éternité, mais rien ne se passa. Je rouvris les yeux, et à mon grand étonnement, je vis que ce geste avait eu pour effet d’apaiser la bête, qui s’était elle-même couchée et léchait l’une de ses pattes.
Je vis qu’il était blessé. Une lueur d’espoir refit surface, peut-être était-ce là ma chance. Je tentai un mouvement, mais les grognements reprirent.
Nous restâmes ainsi à nous observer. J’étais fatiguée et transie. Si le loup ne me tuait pas, la neige et le froid s’en chargeraient.
Comme pour chacun d’entre nous, les loups m’inspiraient peur et dégoût. Ces bêtes cruelles, dévoreuses de troupeaux et d’enfants peuplent nos histoires et légendes. Et il n’y a pas un récit où ces monstres ne nous terrorisent, à l’exception du Roman de Renart qui fait d’Ysengrin un être aussi bête que méchant.
En fait, je n’avais jamais vu de loup vivant. Et il était là, tout près de moi, à vingt coudées à peine. J’eu tout le temps de l’observer. Bizarrement, certaines de ses attitudes me rappelaient celles du grand chien que nous avions à Dijon, mon mari et moi. Et petit à petit, je commençais à le trouver beau. Oui, je sais, c’est insensé. Ses yeux surtout étaient fascinants, jaunes diraient certains, mais avec cette lueur intense, moi je les trouvais d’or. Etait-ce donc cela ces animaux que l’on disait diaboliques ?
Tout à coup, il s’allongea sur le flanc, comme épuisé, vaincu. Je présumai que sa blessure en était la cause. Comme moi, un peu avant, on aurait dit qu’il avait cessé de lutter.
Je profitai de cet instant, pour attraper lentement mon baluchon tombé au sol, et me reculai encore plus lentement. Mes muscles étaient engourdis par le froid. Je fis quelques pas, et je ne sais pourquoi, je stoppai net. Non, je ne pouvais pas partir ainsi. Je ne sais ce qui me poussa à agir de cette manière, mais contre toute logique, je retournai sur mes pas.
Il était là, comme sans vie, seule sa respiration et la lueur qui filtrait à travers ses paupières mi-closes indiquaient qu’il n’était pas mort.
Je m’agenouillai à nouveau dans la neige, à ses côtés. Il ne bougea pas. Sa patte était traversée de part en part par une énorme écharde de bois d’environ un demi-pouce, et présentait tous les signes d’une infection qui semblait l’avoir épuisé.
Je décrochai ma gourde attachée à ma ceinture. De mon baluchon, je sortis un chiffon propre qui avait servi à envelopper quelques victuailles ainsi que la petite fiole de gnole qui m’avait été donnée par Messire Buchettes lors de notre petite soirée d’adieu.
Quand je portai la main sur sa patte, un léger grognement sorti de sa gorge et un frisson parcouru son flanc. Il était maigre et semblait affamé. Sa blessure l’avait-elle empêché de chasser ?
J’hésitai un bref instant. Je pris une bonne inspiration et bloquai ma respiration comme lorsque l’on s’apprête à décocher une flèche, et d’un coup sec, je retirai l’écharde. L’animal sursauta sous l’effet de la douleur en poussant un cri. Ce n’était pas le cri lugubre des loups que l’on entend à la tombée de la nuit, non c’était une plainte aiguë, comme lorsqu’on marche sur la patte d’un chien. Un flux de pus jaunâtre coulait de la blessure. Je nettoyai la plaie du mieux que je pus avec l’eau de ma gourde puis la gnole pour lutter contre l’infection. Mon grand-père, un vieux soldat du Duc de Bourgogne m’avait raconté que certains utilisaient cette manière de faire sur les blessés après la bataille, mais que lui préférait la boire, la gnole. Que c’était pitié que d’utiliser de la bonne gnole pour des pratiques de charlatan.
Enfin, je fis un pansement de fortune avec la moitié du chiffon.
Voilà, c’était tout ce que je pouvais faire. Maintenant, à la grâce d’Aristote.
Il me fallait reprendre ma route. Un dernier regard, le loup n’avait pas bougé. Et je décidai de partir, le laissant là.
A la mi-journée, je fis une pause pour me restaurer d’un peu de pain et de lard fumé que je tirai de mon baluchon, assise sur un tronc d’arbre abattu. Quelle ne fut pas ma surprise de voir le loup arriver en clopinant sur sa patte blessée. Il m’avait suivie. J’eu une petite appréhension mais l’animal se coucha à bonne distance. Il me regardait mais sans agressivité. Je lui lançai un morceau de lard, il hésita un long moment en reniflant la viande, puis se décida à manger. Avant de repartir, je voulu m’approcher mais il s’éloigna.
Je repris ma route. De temps en temps, je me retournais, il était toujours là, à une certaine distance, parfois je le perdais de vue.
Je sortis enfin de cette forêt, le loup toujours sur les talons.
Il hésita un moment à la lisière de la forêt, et là à mon grand étonnement, il se mit à hurler. J’en frissonnai.
http://www3.sympatico.ca/wolfgirl/howl_7.wavJe continuai et je vis qu’il m’emboîtait le pas.
En fait, ce long cri lugubre semblait être un adieu à sa forêt, car depuis il ne m’a plus quitté.
Il me suit à quelques pas, et ne se laisse pas toucher. Il accepte la nourriture que je lui lance, mais pas encore celle que j’essaie de lui donner de ma main.
Je l’ai appelé Lou, en pensant à quelqu’un qui m’est cher.
Alors, si vous entendez parler d’une petite femme qui voyage avec un grand loup, et bien oui, c’est moi.
DameMinute.